L'homme qui découvrit la grotte de corail
Entre Marseille et Cassis, la côte rocheuse et haute a des entailles profondes où la mer vient ronger inlassablement la terre avec sa bouche bleue et verte aux dents blanches d’écume : ce sont les calanques – ces petits fjords du Midi. C’est, quant à l’une d’entre elles surtout, un décor de Walhalla où Calendal peut tendre une coupe à Odin. Dans certaines de ces calanques – au fond ou sous leurs pointes – la mer a si bien creusé sous le rocher qu’elle entre en des cavités quelquefois profondes. Il arrive qu’elle y rencontre des rivières souterraines qui aboutissent là où l’on s’apprête à les capter maintenant.
L’une de ces grottes marines fut, paraît-il, le lieu d’un drame légendaire dont le récit s’est transmis oralement de génération en génération chez les habitants de ce rivage enchanteur et meurtrier à la fois.
Jean Mingassou, sur ses vingt ans, était saute-ruisseau chez Maître Cocardet, l’unique notaire de ce bourg consacré à la pêche et à la culture de la vigne sur les coteaux. Les gens de mer n’étaient pas riches et n’avaient pas recours souvent aux bons offices de l’étude du tabellion villageois. Mais les habiles cultivateurs des pentes ensoleillées étaient plus heureux : leur vin blanc couleur de soleil, ils en envoyaient au roi, à Paris, une barrique après chaque vendange. Et la dégustation par le palais du souverain leur valait une renommée qui faisait bien vendre à la bourgeoisie provençale ce nectar qui est encore, de nos jours, vivement apprécié.
Jean Mingassou accompagnait parfois son patron allant à domicile recueillir les dispositions testamentaires des mourants. C’était lui qui portait à la ceinture, l’écritoire, la plume d’oie et le sablier. Dans la sombre étude, il voyait les vignerons acheter des terres et vider leurs sacs d’écus tintants.
Tout en transcrivant dans les minutes de Me Cocardet les actes sur beau papier qui authentifiaient des achats de gens fortunés, il se disait qu’il n’aurait jamais de pareilles sommes pour fonder un foyer et assurer ses vieux jours dans la quiétude. Il économisait sagement.
Le dimanche, au lieu d’aller courir les cabarets, il allait pêcher dans les calanques les plus éloignées afin d’être seul sur le banc de poissons et, ainsi, d’assurer un peu de nourriture sous le toit familial où son savetier de père n’apportait pas beaucoup de gros sous.



Un dimanche d’été, il partit, après la messe, panier en bandoulière, canne en main, serpentant le long de la côte, au-delà de cette calanque marquée par la chapelle Notre-Dame de Bon-Voyage où le vaisseau du pape Grégoire XI, repartant d’Avignon pour retourner à Rome, avait trouvé abri contre la tempête en 1377.
La matinée ne fut pas bonne pour la pêche car le vent s’était levé et mettait des broderies blanches à la crêtes des hautes vagues, ces volants à la robe de la mer. Son panier ne s’argentait que de menus gobi mais nulle girelle en saphir rayé de rubis, nulle daurade vêtue d’arc-en-ciel n’avait mordu au traître hameçon.
Le jeune cassidain décida de rester en ces parages jusqu’à ce qu’il eut un panier honorablement rempli. Vers le soir, pour mieux observer les fonds, il grimpa sur le plus haut rocher en falaise. Voilà qu’un coup de vent plus fort le fit tomber et glisser sur la pierre luisante d’embruns. En un éclair de pensée, il comprit qu’il allait mourir et se recommanda, âme et corps, à cette Notre-Dame dont il avait salué la chapelle en passant.
Soudain, il sentit le choc de l’eau froide. Et aussi qu’il s’enfonçait doucement sans avoir heurter le rocher ! Un miracle avait récompensé sa fulgurante prière. Il nagea, sous l’eau, vers ce qui lui paraissait le rivage. Quand, pour respirer, il remonta à la surface, il se trouva dans une demi-obscurité.
Ce n’était point le ciel qui était au-dessus de sa tête mais la voûte d’une grotte. Il y pendait, comme des stalactites, des branches tortueuses et rouges, aux formes fantastiques, d’autres naissaient, en position inverse, en bas, et formaient comme un îlot au milieu de cette flaque de mer clapotante.



Jean voulut se reposer sur cette étrange végétation émergeante. Ses doigts glissèrent sur cette couche visqueuse et pourprée qui est la chair des coraux. Il saisit enfin une branche d’une grosseur d’un pouce mais elle cassa. Le plongeur involontaire comprit qu’il avait découvert une grotte de corail comme il y a en a à Sorrente, en Sicile, en Tunisie.
La branche rompue était tombée au fond et il ne put l’y ramasser car la lumière baissait. Jean profita juste à temps de la dernière lueur pour repérer le chemin étroit de la sortie. En retournant au village, il songeait que cette découverte lui assurerait la richesse, ses parents et ses amis fabricants des bijoux à Cassis comme on en fait à Naples.
Il ne confia son secret qu’à un ami très sûr, pour être seul à exploiter sa trouvaille.
Le dimanche suivant, attendu avec impatience fébrile, il revint à la grotte féérique, ayant caché dans son panier un marteau, un crochet de fer pour déraciner le corail et un sac pour mettre sa récolte à l’abri des regards envieux.
Quand il fut au lieu fatidique, il plongea. En quelques brasses, il fut dans la grotte aux coraux rutilants : elle était encore plus somptueuse dans la lumière du matin arrivant d’un jet flamboyant par le goulet d’entrée à écran mouvant d’onde amère !
De stupéfaction, il faillit couler. Dans un sursaut d’énergie, il se raidit, appuyé à une paroi piquante de madrépores puis commença à frapper pour casser les branches de calcaire précieux. Il les ramassa au fond avec son crochet, les serra dans ses bras : la plus grosse d’abord, puis une autre, encore une autre ! A chacune, il supputait le prix de sa moisson et faisait des châteaux en Espagne avec le gain acquis par son exploit.

La nage pour sortir du goulet lui devint impossible. Son butin épineux l’accrocha aux aspérités de l’étroit couloir.
Il retint sa respiration pour plonger et traverser la passe difficile…mais en vain.
Le lendemain, des Cassidains, guidés par l’ami qui connaissait le secret du malheureux, le cherchèrent en barque. On trouva son corps flottant entre deux eaux. Dans sa main crispée, il y avait un brin de corail – symbole même de cette fortune inaccessible.
Depuis personne n’a voulu retrouver cette grotte pleine de richesses et de beauté, mais maudite…
Une histoire extraite de « Ça s’est passé en Provence » de Georges SICARD
proposée par Robert MONETTI.
Illustrations : Images du Web
